
La session d’échanges tenue du 17 au 18 juillet 2025 à Kribi a jeté les bases d’une meilleure compréhension de l’outil règlementaire et de sa domestication sur le terrain.
La ville de Kribi dans la région du Sud-Cameroun a abrité du 17 au 18 juillet 2025 un atelier de mise en application du Règlement de l’Union européenne sur la déforestation (RDUE). L’initiative co-organisé et facilité par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), EarthSight et Fern (fougère en français, ndlr), avait pour objectif de découvrir les leviers possibles offerts par l’outil et d’approfondir l’expertise des participants dans l’élaboration et la soumission de préoccupations étayées.
L’autre enjeu était d’impulser réflexion stratégique collaborative sur la manière dont le RDUE pourrait être appliqué de manière efficace dans le contexte camerounais, afin de susciter des changements tangibles sur le terrain et améliorer la responsabilité des entreprises. Y prenaient part : chercheurs de terrain, organisations de la société civile (OSC) et leaders communautaires. L’atelier a ciblé les chaînes d’approvisionnement du bois, du cacao, du caoutchouc, de l’huile de palme et du café exportés du Cameroun vers l’UE. Les échanges ont aussi permis de fournir un accès aux informations sur les derniers développements des politiques de le RDUE et des chaînes d’approvisionnement sans déforestation.
A en croire le secrétaire général du CED, Dr. Samuel Nguiffo, le Cameroun s’est doté d’une nouvelle boussole de développement pour la période allant de 2020 à 2030 (SND-30). Ladite stratégie commence le 1er janvier 2021 et s’achève en 2030. Seulement, elle coïncide exactement avec la date à partir de laquelle le RDUE estime qu’il ne faudra pas avoir défriché la forêt pour avoir des produits conformes et susceptibles d’entrer dans l’espace européen. Dans l’intervalle, le pays s’est fixé plusieurs ambitions. L’une d’entre elles est claire : en 2019, selon l’évaluation du ministère en charge de l’Agriculture, on avait 7,5 millions d’hectares de terres plantées pour les productions de diverses tailles. L’ambition c’est que 10 ans plus tard, on passe à 10,5 millions d’hectares de terres plantées. Autrement dit, on va défricher une superficie qui représente la moitié de ce qui existe déjà, avance le CED.
Il y a une autre source d’inquiétude : quand on additionne toutes les affectations de la terre ou les droits concédés par l’Etat, que ce soit les permis miniers, les concessions forestières, l’agro-industrie, les forêts communales, on est à peu près à 80% du territoire national. « Sur les images satellites, on constate que dans la grande zone qui est sur un rayon de 250 km à partir de Campo, Kribi, Douala et Edéa jusqu’au Sud-ouest, les concessions forestières sont relativement vides. On a également vu que les aires protégées sont menacées. On l’a vu à Campo et dans le Dja, à des échelles différentes », relate le Dr. Nguiffo.
Par ailleurs, entre 2020 et 2030, l’Union européenne demande de ne pas défricher la forêt s’il faut espérer que ses produits aillent sur le marché européen. La plupart des produits qui nous intéressent pour cette augmentation de superficies sont aussi des produits ciblés par le RDUE. Potentiellement, il y a un danger que la plantation de nouvelles superficies fasse tomber quelques producteurs dans une situation de non-conformité avec le RDUE, craint le CED. Quand on sait qu’en 2023, la part du cacao dans les exportations camerounaises vers l’Union européenne représentait 594 millions d’euros, soit plus de 389 milliards de F, cela suscite matière à réflexion, souligne le coordonnateur de l’équipe Asie du sud-est et Afrique à Earthsight, Aron White. « Le RDUE va affecter significativement les producteurs », précise notre source.

Espoirs fondés sur le RDUE pour renforcer la présence du Cameroun sur le marché européen
Toujours est-il que la déforestation est en marche et il y a lieu de faire quelque chose. « Le RDUE nous apporte une opportunité au moins pour pouvoir discuter, mettre les questions sur la table et amener les gens à réfléchir. C’est un outil d’une très grande importance pour l’avenir de nos forêts », soutient le secrétaire général du CED. Même s’il reste tout de même mesuré. « Le RDUE n’est pas la solution à tous nos problèmes. Une partie des problèmes peut être résolue par le règlement, mais si le RDUE était entièrement appliqué, peut-être tous les problèmes ne seraient pas entièrement résolus », relativise l’expert.
D’après l’atelier de Kribi, il y a une opportunité de commencer les discussions au Cameroun, d’utiliser la RDUE pour essayer de changer les choses dans notre pays, ainsi que les attitudes des producteurs et de l’Etat. « Il y a la compétition et nous avons intérêt à nous conformer. Beaucoup de gens ne connaissent pas bien le contenu du RDUE. Il y en a qui vont perdre leurs investissements parce qu’ils ne sont pas au courant des risques qu’ils courent. Nous avons la chance de travailler là-dessus avant les autres. Mon souhait c’est qu’on puisse continuer à s’intéresser à ceci, pour réussir à faire des choses utiles dans les années qui viennent », déclare Dr. Samuel Nguiffo.
« Aujourd’hui, le RDUE nous permet de trouver un angle d’attaque par le commerce. Nous sommes libres de faire ce que nous voulons au Cameroun, mais ça va restreindre notre action sur le marché européen. Et comme la plus grande partie de certains produits qui résultent de cette déforestation vont dans l’espace européen qui est un marché solvable et offrant souvent des prix meilleurs que beaucoup d’autres marchés, la tendance sera d’aller vers ce marché », conforte l’expert. « Si on a la possibilité de bien suivre, on peut susciter les discussions et faire arrêter les exportations de compagnies précises vers le marché européen. En faisant cela, on peut également pousser les compagnies à mieux respecter la législation camerounaise et la règlementation européenne », poursuit notre interlocuteur. Certains acteurs de la société civile, à l’instar de Manfred Aimé Epanda, président de Tropical Forest and Rural Development (TFRD), évoque déjà la nécessité de choisir des options d’agro-écologie, pour garder les sols en bonne santé et continuer à produire sur les surfaces existantes, car les terres ne seront pas toujours disponibles.
Dans la même lancée, le coordonnateur de Terre et Développement durable (TDD), Pierre Hervé Madougou Yagong, voit en le RDUE quelque chose de salutaire et qu’il faut aller au-delà des ateliers pour un véritable travail sur le terrain. Mieux vulgarisé, le potentiel du RDUE peut être utilisé comme levier de changement au Cameroun et d’amélioration de la gouvernance forestière, des moyens de subsistance des petits exploitants et de respect des droits des communautés autochtones et locales. Néanmoins, des contraintes persistent. Le président de l’Association des jeunes peuples autochtones du Cameroun (AJPAC), Lerys Nyangono, évoque le problème d’accès à l’information parfois avec des sociétés empêchent d’entrer dans les chantiers, les abus sur les droits des populations autochtones par des autorités administratives qui sont de mèche avec les exploitants légaux et illégaux. Pour cette raison, il est favorable à une meilleure sensibilisation au niveau local, pour plus d’impact. L’outil, poursuit-il, va amener les sociétés nationales et les multinationales à se conformer.

La RDUE : genèse et implications pour la partie camerounaise
Du point de vue historique, le RDUE est officiellement entré en vigueur en juin 2023. Son application obligatoire débute le 30 décembre 2025 pour les opérateurs et commerçants de grande et moyenne taille, avec une date limite légèrement repoussée au 30 juin 2026 pour les micros et petites entreprises, tel que l’explique Indra Van Gisbergen, responsable de la campagne Forêts et Consommation à Fern. Les explications fournies par Christian Ngoube, assistant de recherche/RDUE au CED, indiquent que le RDUE vise à limiter l’impact de l’Union européenne sur la déforestation importée. Comme tel, il impose de nouvelles exigences strictes aux entreprises qui importent ou exportent des produits de base clés vers et depuis l’Union européenne. Sept commodités sont concernées : cacao, palmier à huile, café, caoutchouc, soja, bovin, bois. M. Ngoube explique que l’enjeu derrière le RDUE est de verdir les chaînes d’approvisionnement, du point de vue de la durabilité environnementale et/ou économique. La RDUE s’est en outre donné la liberté d’ajouter de nouveaux produits et d’en retirer autant que cela serait possible, apprend-t-on.
Indra Van Gisbergen est revenue sur la genèse du RDUE qui émane de la volonté de l’Union européenne de d’adopter des mesures pour réduire l’impact de sa consommation. L’initiative part également des résultats peu satisfaisants d’autres réglementations comme l’APV-Flegt. L’UE voulait donc disposer d’une mesure plus stricte pour relever ses défis de durabilité. L’atelier de Kribi est la continuité d’un webinaire organisé le 10 juillet 2025, qui visait à atteindre un public plus large d’OSC, de représentants de petits exploitants et de dirigeants communautaires, en améliorant leur compréhension du RDUE et en les informant sur les dernières actualités.

Les petits producteurs ont-ils voix au chapitre ?
A l’évidence, les discussions qui se déroulent au niveau macro pour l’application de la RDUE ne sont pas inclusives, du moins en l’état actuel, déplore la directrice exécutive de la Confédération nationale des producteurs de cacao du Cameroun (Conaprocam). D’après Géraldine Sonkoué, les petits producteurs qui sont pourtant un maillon essentiel dans les chaînes d’approvisionnement au niveau micro, ne sont pas informés des évolutions autour de la règlementation. Du moins, pas toujours, scande-t-elle. « Le petit producteur doit avoir l’information, être sensibilisé et accompagné. Il est question pour nous de regarder au niveau de la communauté, pour que cela soit fait à travers sa société coopérative. Nous avons aussi au niveau de la communauté des personnes qui peuvent renforcer les capacités de petits producteurs, comme les chefs traditionnels ou les leaders religieux qui sont des agents de relais au niveau local », plaide Mme Sonkoué.
Par ailleurs, notre interlocutrice fait observer que malgré l’engagement des producteurs, des derniers restent inquiets. « Aujourd’hui, on met sur la table plus d’exigences à respecter, mais à côté il faut des mesures d’accompagnement. Je parle notamment des mesures de compensation qui viennent du prix. On ne met pas en avant la question de prix, la compensation des efforts additionnels à fournir et l’assainissement de la chaîne de commercialisation », insiste la responsable de la Conaprocam. Les intermédiaires communément appelés coxeurs qui contribuent à la mauvaise qualité du cacao, aux mauvais prix et qui déstabilisent le système de traçabilité, doivent être sanctionnés. La collaboration et la synergie d’actions entre producteurs et exportateurs est également de mise. Il ne faut pas que les exportateurs se soucient plus de leurs produits que ceux qui produisent le cacao et qui les accompagnent à avoir un produit respectant les normes et exigences de leurs différents fournisseurs », clame Mme Sonkoué.
Du côté de la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam), l’on entend suivre l’actualité sur la RDUE de près. La corporation qui encadre les petits producteurs de cacao de la zone du Littoral jusqu’au Sud-Ouest voit en le règlement une opportunité. « C’est une arme formidable pour les petits producteurs et les communautés, par rapport aux non conformités observées par les sociétés exportatrices de cacao, des agro-industries et des sociétés forestières », dixit Emmanuel Elong, président de la Synaparcam. « Que ce soit les petits producteurs ou les communautés, ils vont utiliser cette arme pour faire pression aux sociétés exportatrices de cacao, par rapport aux prix que les petits producteurs n’arrivent pas toujours à mieux gagner malgré le travail fourni jour et nuit. Pour les communautés dont les droits sont bafoués par les sociétés agro-industrielles ou forestières, voici une autre arme pour inciter les sociétés à changer leurs comportements et leurs pratiques », ajoute-t-il.