La décision prise le 23 septembre 2025 à Bruxelles pourrait compromettre les offerts entrepris jusqu’à présent pour faire de la RDUE un levier efficace de changement.
Au cours d’un échange avec la presse lors de la session du Conseil « Agriculture et pêche » de l’Union européenne qui s’est tenue du 22 au 23 septembre 2025 à Bruxelles, la prise de position de la Commissaire européenne chargée de l’Environnement, de la Résilience en matière d’eau et d’une économie circulaire compétitive, Doorstep Jessika Roswall, a suscité un tollé. Dans son argumentaire, elle propose de reporter le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) d’un an. « Au cours de l’année dernière, nous nous sommes focalisés sur la simplification sous divers angles. Mais, ceci dit, nous savons aussi que malgré nos efforts quand il s’agit de simplification, nous continuons de penser que nous ne pouvons pas y arriver sans qu’il y ait une rupture avec nos milieux d’affaires et nos chaînes d’approvisionnement. Nous mettons un point d’honneur sur les questions technologiques, étant donné la quantité d’informations à intégrer dans le système informatique. C’est la raison pour laquelle nous verrons, avec les co-législateurs, dans quelle mesure ajourner pour un an. Cela nous donnera également du temps pour analyser les différents risques que peut engendrer ce flot d’informations dans le système, ainsi que d’autres risques », a indiqué Mme Roswall.
Dans la foulée, cette sortie a fait l’objet de réactions. Selon Fern, une ONG qui défend les forêts et les droits des populations forestières dans l’UE, le manque de courage et de vision de l’UE est frappant, surtout après un premier report de sa mise en œuvre en 2024. « Une fois de plus, les gouvernements et les entreprises européens ont raté le coche et ne sont pas prêts à se conformer à une loi qui a été adoptée avec un mandat écrasant en 2023. Cette décision est un affront à tous ceux qui ont travaillé sans relâche pour faire de la loi une réalité », a déclaré Nicole Polsterer, militant de Fern, sur la page LinkedIn de l’organisation.
Le fait que la Commission convoque les défaillances informatiques pour justifier le retard n’aurait pas de sens, selon Fern qui reconnaît qu’il y a eu plusieurs tentatives, au cours des 12 derniers mois, de faire dérailler le hashtag#EUDR. « Cela fait partie d’une bataille plus large : entre ceux qui veulent protéger le monde naturel et les systèmes de vie qui en dépendent, et ceux qui ont l’intention de le détruire, souvent motivés par des intérêts personnels étroits », a ajouté Nicole Polsterer. A quelques mois de la COP 30 prévue à Belém au Brésil, Fern voit en cette décision de la Commission de l’Union européenne un mauvais message au reste du monde. « Au lieu de défendre la première loi du genre au monde, la Commission dit essentiellement à ses détracteurs les plus féroces de retenter leur chance », a conclu Nicole Polsterer.

Quelles perspectives sur le plan législatif après le rétropédalage de la Commission de l’Union européenne ?
Pour reporter la RDUE, la Commission doit présenter une proposition législative, apprend-t-on de Fern. « Nous pensons qu’il s’agira d’une procédure accélérée comme l’année dernière, qui nécessite un vote au Conseil et devra passer par la plénière du parlement européen », explique Indra Van Gisbergen, International Forest Governance Campaigner à Fern. « Nous pourrions assister à la même dynamique que l’année dernière : une proposition de report, avec des amendements conservateurs pour une catégorie zéro risque, la suppression des obligations pour les seconds acteurs du marché, la suppression des pourcentages obligatoires pour les contrôles par les autorités compétentes… Donc il y a un grand risque qu’on va tenter d’affaiblir la réglementation », poursuit-elle.
Le scénario expliqué ci-dessus ne ferait pas partie du prochain « omnibus environnemental », un instrument de la Commission pour simplifier des réglementations environnementales. Par contre, il pourrait y avoir une simple proposition législative de report, puis un ajout de la RDUE à l’omnibus. « Nous ne le savons pas encore. Pour l’instant, il semble que la Commission tente de gagner du temps », martèle Indra Van Gisbergen.

Branle-bas pour la poursuite des activités autour de la traçabilité
L’idée d’un nouveau report de l’application de la RDUE passe mal au sein des ONG et de la société civile. Lors d’une rencontre organisée par WWF-Cameroun du 30 septembre au 1er octobre 2025 à Douala, dans le cadre de la célébration de la journée mondiale du cacao, le sujet s’est invité à la table des échanges. Toute proportion gardée, plusieurs personnes y voient davantage une opportunité. « Je n’aime pas trop parler du report de la RDUE, tout simplement parce qu’il risque de nous endormir. Le règlement de l’Union européenne, je l’ai pris comme une opportunité. Il nous a aidé à rebooster notre cacao et il nous pousse à le rendre pratiquement durable. Je fais des efforts pour être en règle avant décembre 2025, c’est mon dada », a estimé le directeur qualité et durabilité à l’Office national du cacao et du café du Cameroun (ONCC), par ailleurs Coordonnateur du secrétariat technique du Comité interministériel cacao durable du Cameroun, Elie Bertrand Mutngi.
L’expert senior chez WWF-Cameroun, Jean Paul Nlend Nkott, pousse la réflexion plus loin. A son avis, personne n’est totalement prêt à 100%, même au niveau de l’Union européenne, surtout à la porte d’entrée qu’est le port d’Amsterdam. « L’éventuel report qui se trame n’est pas une entrave. Ça permet d’affiner les derniers réglages au niveau du géo-référencement et du mapping des producteurs », estime ce dernier. Même son de cloche au niveau du secteur privé. « C’est important que chacun soit prêt. Si du côté de l’Union européenne ils ne sont pas prêts, nous pensons qu’ici également, il y a encore de petits réglages à faire pour être prêt à 100%. Cela ne veut pas dire que s’il fallait démarrer aujourd’hui, nous ne serions pas prêts. Probablement certains producteurs seront abandonnés, mais l’objectif est d’avoir tout le monde dans le train. Ainsi, nous mettons tout en œuvre pour qu’à fin 2025, tout le monde soit prêt. Et même si cela ne se produit pas, nous pensons qu’il y a encore des efforts à fournir pour être sûr d’être prêts quand ils choisiront de débuter avec la loi », relate Austin Kidzeru, responsable du développement durable à Olam Food Ingredients (OFI).
Toujours est-il que, selon les organisations en Europe et dans les autres pays, il faut continuer à appeler les gouvernements à continuer de travailler sur la traçabilité comme quelque chose de fondamental. « C’est un moment compliqué ! Nous sommes encore en train de réfléchir. L’aide des ONGs dans les pays producteurs est aussi la bienvenue », souligne Indra Van Gisbergen. « Pendant que la RDUE est sous pression à Bruxelles il est important de ne pas perdre le courage et de continuer à travailler sur la transparence des chaînes d’approvisionnement et donc la traçabilité inclusive, les droits des petits producteurs, des femmes et les populations autochtones et la sécurisation de la tenure foncière », souhaite notre interlocutrice.
