
La démarche engagée lors d’un récent atelier tenu dans la Haute-Sanaga est orientée vers la mise sur le marché d’un bois d’origine légale, avec en bout de chaîne de meilleures marges bénéficiaires pour les exploitants.
La commune de Nanga-Eboko, chef-lieu du département de la Haute-Sanaga dans la région du Centre, a abrité le 30 avril 2025 un atelier stratégique sur les enjeux et défis de l’approvisionnement de bois alimentant le transport par voie ferrée au Cameroun. L’activité pilotée par World Resources Institute (WRI) dans le cadre du Projet de l’amélioration de la gouvernance du secteur forestier (PAMFOR), visait à faciliter un dialogue multi-acteurs constructif pour identifier les enjeux et les défis liés à l’approvisionnement en bois alimentant le transport par voie ferrée au Cameroun. Tout en explorant des pistes de solutions pour un approvisionnement durable et responsable.
En tant qu’acteur dans la mise en œuvre du projet, M. Achille Wankeu du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), a planté le décor, sans ambages. « Le Projet pour l’amélioration de la gouvernance forestière (PAMFOR) est impliqué dans tout ce qui est transport de bois, que ce soit par voie routière ou ferroviaire. L’idée est d’analyser tous les mécanismes qui sont mis en place dans le transport du bois, de les cartographier et d’essayer d’identifier toutes les failles en termes de fiscalité par exemple », a-t-il affirmé. « Parfois l’Etat perd beaucoup parce que les procédures ne sont pas respectées. En termes également d’approvisionnement parce que les discussions avec les transporteurs et opérateurs révèlent un sérieux problème d’approvisionnement de bois. Les gens veulent bien travailler, mais il n’y a pas la ressource légale. Il y a aussi la question de l’inactivité des titres forestiers qui contribuent beaucoup à l’illégalité », a-t-il ajouté. Pour enfoncer le clou, les exploitants forestiers regrettent la baisse d’activités. Selon Claude Alain Ymbeu Wandji, au cours des trois dernières années, ce sont à peine trois wagons qui sont transportés par an, aussi bien à Nanga-Eboko et à Mbandjock. A son avis, la lettre de voiture n’a pas intégré le transport ferroviaire. Ce d’autant plus que le bois est souvent parqué à la gare et y fait plus d’un mois.

La source d’approvisionnement en bois est difficile à établir
En plantant le décor de l’activité, le délégué départemental des Forêts et de la Faune de la Haute-Sanaga s’est voulu péremptoire sur un fait : la ressource forestière qu’on manipule et qu’on est en voie de transporter doit se conformer à la règlementation forestière. « Quand l’atelier évoque les enjeux et défis, c’est tout à fait normal, parce qu’on a le droit de nous rassurer de la légalité des produits qui sont transportés par voie ferroviaire. Quand on parle de légalité, on doit pouvoir se rassurer de leur source d’approvisionnement, c’est-à-dire que ce bois provient de titres légaux. On doit pouvoir éviter que la gare ferroviaire soit un levier de la coupe illégale de bois, à partir du moment où le bois légal y sera transporté », a indiqué Daniel Ndoumou.
A son avis, le thème débattu avec les parties prenantes revêt un intérêt capital, surtout quand on se situe dans le contexte de la Haute-Sanaga qui est non seulement un très grand bassin d’approvisionnement en bois, mais également le lieu par lequel transite ce bois que ce soit celui exploité localement ou celui qui vient d’ailleurs, en raison du trafic ferroviaire dans le département. « Nanga-Eboko abrite l’une des gares les plus importantes du réseau ferroviaire camerounais. Et quand on dit gare, cela renvoie au transport des biens et personnes. Et quand on dit transport des biens, on se réfère notamment à la ressource bois. Au niveau de la gare de Nanga-Eboko et de Mengue-Bibey, le bois constitue l’une des marchandises les plus transportées », fait remarquer le responsable de l’administration forestière dans cette unité administrative.

Sur 35 forêts communautaires, à peine cinq sont actives…
Les échanges de Nanga-Eboko avaient ceci de particulier qu’il faut mettre chaque acteur devant ses responsabilités. Dès lors, les enjeux sont à deux niveaux : les opérateurs se rassurent que le bois mis à leur disposition a été exploité de manière légale. Les autorités en charge du transport ferroviaire quant à eux, se rassurent qu’elles ne sont pas en train d’encourager la coupe illégale de bois en embarquant le bois qui a été volé. Sur ce dernier aspect en particulier, Camrail indique qu’en ce qui concerne l’acheminement du bois par voie ferrée, il est le dernier maillon de la chaîne, et met tout en œuvre pour ne pas transporter du bois illégal, qu’il soit en débités ou en grumes. A l’occasion, la convention signée entre Camrail et le ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF) le 19 décembre 2006 a été remis sur la table. Ledit protocole d’accord interdit la commercialisation, l’utilisation et le transport des produits forestiers et fauniques aussi bien par les passagers que par les employés de Camrail.
L’administration forestière pour sa part joue le rôle de fusible. « Autant on dit qu’il faut éviter de manipuler la ressource forestière exploitée illégalement, autant l’administration forestière est aussi disposée à vous accompagner à avoir ce bois tel que la loi l’a prévu », souligne le délégué départemental des Eaux et Forêts. Et d’ajouter : « Il faut relever que l’avantage dans la Haute-Sanaga c’est qu’il y a encore du bois qui se trouve dans les titres attribués. La Haute-Sanaga a près de 35 forêts communautaires. Malheureusement, à peine cinq sont opérationnelles. Les 30 autres ne sont pas en activité, étant donné que les forêts communautaires sont des ressources mis à la disposition des villageois qui, généralement, n’ont pas de ressources techniques ou financières. A partir de ce moment, vous êtes donc interpelés à accompagner ces forêts communautaires, pour qu’elles soient opérationnelles et mettent à votre disposition un bois d’origine légale qui sera transporté légalement par voie ferroviaire ».

Quand le manque de personnel et de logistique plombent les efforts de l’administration forestière…
Par ailleurs, l’enjeu des réflexions engagées à Nanga-Eboko est d’attirer l’attention sur les risques que représente le trafic du bois par voie ferroviaire. A l’analyse des statistiques, il ressort que la proportion de bois d’origine inconnue est très importante dans ce réseau. Par quelle alchimie ce bois devient légal ? A cette interrogation, Achille Wankeu du CED estime qu’il y a un manque de connaissance par rapport à la gestion du bois. Plusieurs opérateurs ne maîtrisent pas la législation, apprend-t-on. « Parfois l’Etat perd beaucoup parce que les procédures ne sont pas respectées », lance M. Wankeu. D’autres défis sont liés au cadre règlementaire, notamment l’application laxiste des lois, etc. Ainsi que les coûts du transport élevés qui grignotent la marge bénéficiaire des exploitants ou encore la forte demande pour les constructions et la demande extérieure (surtout le Tchad).
L’administration forestière fait davantage face à plusieurs défis qui ont trait au contrôle. Ces défis portent sur la carence en personnel. « Nous avons des massifs forestiers qui doivent faire l’objet de contrôle. Au regard du manque de personnel, il est légion de voir un chef de poste forestier couvrir à lui seul tout un arrondissement. A partir de ce moment, il devient très difficile de faire des contrôles sur place », déplore Daniel Ndoumou, délégué départemental des Forêts et Faune. L’autre souci est lié à la logistique. De plus en plus, la ressource forestière se trouve dans les zones enclavées. Or, l’administration forestière dispose de peu de moyens de locomotion pour de déplacer.

Et si la solution passait par une synergie d’actions ?
De même, il se pose le problème de l’absence de certains matériels comme les GPS ou les drones, qui ne sont pas à portée. Pourtant, « le contrôle forestier participe de la gestion durable des ressources forestières », précise M. Ndoumou. « La coupe illégale du bois s’apparente souvent à un réseau criminel. Autant, on se bat pour contenir les opérateurs véreux, autant les acteurs travaillent d’arrache-pied pour contourner les mécanismes qu’on met en place, car ils ont parfois une longueur d’avance sur nous. Vous allez remarquer qu’ils utilisent même déjà des technologies avancées. On doit continuer à rester en éveil », soutient notre source.
Dans un tel contexte, la synergie est capitale pour tordre le cou au trafic illicite du bois par voir ferroviaire. Il faut une collaboration entre l’administration forestière et les opérateurs économiques. « L’opérateur économique a aussi sa partition à jouer, surtout qu’avec les investissements consentis, il doit se rassurer que son activité soit en sécurité. En investissant dans la coupe illégale du bois, il s’embarque dans un projet vulnérable », souligne à grands traits M. Ndoumou. Ce dernier ne manque pas de soulever les dispositions de la nouvelle loi forestière du 24 juillet 2024 qui sont plus rudes que celles de 1994, avec des peines privatives de liberté qui vont de six mois à trois ans d’emprisonnement avec des amendes allant jusqu’à 20 millions de F.
Recommandations pour faciliter le transit du bois par voie ferrée
Les acteurs ont proposé quelques recommandations pour que le transit du bois par voie ferrée se fasse sans anicroches. « On veut accompagner les opérateurs économiques à sortir de l’illégalité et à investir leurs ressources avec le moins de risques possibles. L’administration forestière et les opérateurs économiques doivent travailler ensemble pour éviter les consensus », a suggéré le Dr. Roger Bruno Tabue Mbobda, consultant et enseignant à l’Ecole nationale des Eaux et Forêts (ENEF) de Mbalmayo. Parmi ces recommandations, il y a : l’allègement de la procédure d’acquisition des titres forestiers, l’évaluation de la mise en œuvre de la convention entre Camrail et le MINFOF pour faciliter le transit du bois, étant donné que l’on a affaire à des produits périssables, la mise en place d’une plateforme pour les dénonciations, entre autres.
ILS ONT DIT
« On devrait alléger les contrôles »

Christophe Kuiate Takam, Chef de poste de contrôle forestier et de chasse de Nanga-Eboko.
« On a rassemblé les opérateurs pour les sensibiliser sur la traçabilité du bois, afin que le bois qui doit être en transit sur les gares ferroviaires soit être d’origine légale. Quand c’est d’origine légale, ils vont formaliser au niveau de Camrail pour amener le bois partout où ils veulent. On a eu à sensibiliser les transporteurs qui ramènent le bois au Tchad. L’objectif est de veiller à ce que le bois sorte de Nanga-Eboko dans la légalité et que nous facilitions sa traçabilité pour les commerçants. On devrait alléger les contrôles de la police, des eaux et forêts, de la population même. L’idée est de distribuer le bois là où il n’y en a pas. Par exemple : le Grand nord a également besoin du bois pour les constructions. Il y a des ressources du nord qui se retrouvent au sud, de même il faudrait que les ressources en bois aillent aussi au nord, mais dans la légalité ».
« On n’a pas de problème avec l’administration forestière »

Mohamadou Goni, exploitant forestier, promoteur de la société MG.
« J’ai fait 50 ans dans le domaine du bois. Jusque-là, on a toujours des difficultés. A ma connaissance, ces sont les agents des Forêts qui sont concernés par le bois. Maintenant, ce sont les gendarmes et policiers qui nous menacent au point où on n’arrive pas à s’en sortir. On n’a pas de problème avec l’administration forestière. Il revient au gouvernement de prendre des mesures concrètes sur le terrain pour que les opérateurs économiques ne subissent plus les tracasseries. Au niveau de la gare, on n’a de souci en tant que tel à part le problème de locomotive. On a 22 wagons qui nous ont été affectés uniquement pour le transport du bois. Mais, parfois, les locomotives manquent pour tirer ces wagons ».
« L’activité est en baisse dans les gares ferroviaires »

Claude Alain Ymbeu Wandji, exploitant.
« Cet atelier vient à point nommé, surtout que l’activité est en baisse dans les gares ferroviaires de Nanga-Eboko et Mbandjock. Compte tenu du fait que la plupart d’entre nous ne fonctionnaient pas dans la légalité, ils sont tombés en faillite. Actuellement, nous cherchons les moyens pour opérer dans la légalité, à travers les forêts communautaires. Mais, nous sommes dépourvus de moyens. A travers cette activité, on s’engage à respecter la légalité pour sortir bénéficiaire. Lorsque nous travaillons dans l’illégalité, nous cotisons pour les individus en cours de route. A chaque fois, nous nous faisons arnaquer. Je suggère que l’activité continue à Belabo et Ngaoundéré, afin qu’on sensibilise tout le monde. Belabo est la première gare de l’exploitation ferroviaire de bois, que ce soit dans le sens de Douala ou de Ngaoundéré. On a affaire beaucoup plus à ceux qui font dans la transformation, c’est-à-dire le bois qui va vers le nord. A partir de Ngaoundéré, il n’y a pas de scierie. C’est le bois que nous prenons ici qui alimente le septentrion et que nous essayons de transformer dans de petites menuiseries. Quand on arrive avec ce bois, on transforme en lattes ou en chevrons à la demande de la clientèle. Nous partons avec ce bois déjà transformé, mais une fois à Ngaoundéré, il subit une autre transformation ».
« Il y aura une bonne traçabilité sur le bois coupé »
Joseph Fouda, secrétaire général de la commune de Nanga-Eboko.

« La commune de Nanga-Eboko est une commune forestière. Comme tel, un atelier comme celui-ci nous permet d’avoir une bonne traçabilité sur le bois coupé dans notre environnement. Aussi, quand cette traçabilité est bien établie, nous sommes à l’aise en fonction du recouvrement des taxes. Nous avons cette chance d’être le projet pilote et nous comptons capitaliser toutes les recommandations de cet atelier. Chacun a une connaissance dans le domaine et si nous mutualisons nos expériences, nous allons nous en sortir avec une feuille de route bien élaborée ».
« Il faut organiser l’exploitation forestière »

Sa Majesté Akono Ndouma, chef de troisième degré du village Akak, arrondissement de Nanga-Eboko.
« Quand on parle du bois, il y a des responsabilités à indexer. Dans la Haute-Sanaga, on parle de l’exploitation du bois. Mais, le bois est quand même exploité dans des forêts appartenant à des villages bien déterminés. Ces villages sont indépendants les uns des autres. Mais, où est la place du chef traditionnel dans la gestion de ces forêts ? Je pense qu’on devrait voir dans quelle mesure le chef traditionnel devrait intervenir pour l’efficacité de la gestion de ces forêts. Il faut organiser l’exploitation forestière, de manière à ce que la quote-part qui revient à la communauté ne souffre plus de rien. Si on implique le chef et la communauté villageoise, les choses iraient pour le mieux. Le chef devrait avoir un mot à dire ».
Réactions collectées par LA REDACTION