
La récente session de formation tenue à Bertoua a jeté les bases pour des actions qui contrecarrent les menaces sur le potentiel faunique des aires protégées identifiées, dans le respect des droits de l’Homme.
WWF-Cameroun, en collaboration avec le Ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF), a organisé un atelier de renforcement des capacités des écogardes et membres des communautés locales des parcs nationaux de Boumba-Bek et Nki sur la lutte contre la criminalité faunique et le respect des droits de l’Homme, du 26 au 28 août 2025, à Bertoua, région de l’Est-Cameroun. L’objectif de la plateforme interactive était de renforcer les capacités des parties prenantes sur la lutte contre la criminalité faunique et le respect des droits de l’Homme dans les activités de lutte anti-braconnage et de biomonitoring. « Pour WWF, accompagner le Minfof pour combattre la criminalité faunique est très important. Il y va du maintien de l’intégrité des aires protégées que nous accompagnons. Dans cet accompagnement, on met un accent sur les droits de l’Homme. La conservation ne peut qu’être efficace que si l’on respecte les communautés riveraines, parce qu’elles dépendent de la forêt pour leur subsistance », a indiqué le Progam Manager WWF Jengi Tridom, Calvin Fondja. « En appuyant le ministère dans l’organisation de cette formation, il est question de voir dans quelle mesure respecter les droits des communautés, bien qu’en appliquant la loi. Ça va permettre d’améliorer la confiance avec les communautés locales qui vont se sentir en sécurité et transmettre les informations des activités illégales », a-t-il poursuivi.
Les modules de formation portaient entre autres sur : l’ampleur de la criminalité faunique au Cameroun, le cadre normatif de la lutte contre la criminalité faunique au Cameroun (instruments juridiques et régime de répression des infractions à la législation faunique), la nouvelle loi forestière et faunique (innovations et implications juridiques et judiciaires), le suivi d’une procédure faunique devant les juridictions camerounaises notamment le tribunal de première instance (composition, rôle des acteurs de la salle d’audience, comparution des représentants du MINFOF, gestion des pièces àconviction, partage d’expériences et astuces de la salle d’audience), le cadre des sauvegardes environnementales et sociales du WWF et les droits de l’Homme et bonnes pratiques spécifiques aux peuples autochtones et communautés locales dans le cadre de la lutte contre la criminalité faunique.
« L’activité de braconnage ne s’accompagne pas toujours de cadeaux. Nous sommes appelés à traquer les hors-la-loi dans leurs derniers retranchements. Sauf que nous héritons en réalité de l’ancienne conception de la part des usagers qui pensaient toujours que lorsqu’ils sont interpellés, ils vont être châtiés. C’est la raison pour laquelle toutes nos missions d’interpellation sont généralement conflictuelles, avec notamment les agressions des écogardes par les populations. Ça se solde généralement par des torts », fait observer le conservateur du parc national de Nki, Achille Mengamenya. Selon lui, la formation « devrait permettre aux écogardes qui sont déjà imprégnés de la prise en compte des droits de l’Homme dans leurs missions, mais c’est toujours important de leur rappeler ce qu’ils doivent faire en la matière. Cette formation serait davantage bénéfique si on mettait également les populations à jour, pour qu’elles comprennent que la mission de l’écogarde n’est pas de nuire à qui que ce soit. C’est plutôt pour préserver la biodiversité qui nous est tous utile ».

Quand l’appétit des pays asiatiques pour l‘ivoire d’éléphant et l’écaille de pangolin renforce la pression sur les ressources fauniques…
La réflexion de Bertoua s’est tenue dans un contexte où le commerce illégal d’espèces fauniques et de produits dérivés est un secteur lucratif dont la valeur est estimée à environ 21 milliards d’euros, soit plus de 13 775 milliards de F.CFA, d’après les informations communiquées par Interpol en 2023. Ce commerce met aux prises des réseaux criminels organisés. De l’avis de WWF, ce commerce constitue l’une des plus grandes menaces directes pour la survie des espèces les plus menacées au monde. Il constitue par ailleurs la deuxième menace globale pour la survie des espèces fauniques, derrière la destruction des habitats.
Les facteurs à la base de ce commerce sont en l’occurrence la forte demande d’ivoire d’éléphant et d’écailles de pangolin des pays asiatiques, les lacunes des arsenaux législatifs et des systèmes judiciaires, la corruption, l’insuffisante expertise juridique des agents chargés de l’application de la loi, le trafic d’influence etc. Autant de facteurs qui font du commerce illégal d’espèces protégées une activité risquée et très lucrative pour les acteurs qui s’y impliquent.

Les bons points de la coalition multi-acteurs au Cameroun
Au Cameroun, une batterie de mesures sont néanmoins déployées pour contrer la recrudescence du braconnage et du commerce illégal des espèces fauniques. C’est le cas par exemple de l’adoption de la nouvelle loi du 24 juillet 2024 sur le régime des forêts et de la faune, l’adoption d’une stratégie décennale (2020-2030) de lutte contre le braconnage et la criminalité faunique, le renforcement du partenariat entre les différentes sectorielles (Forêts et Faune, Police, Gendarmerie, Douanes et Justice) et la mobilisation des partenaires techniques et financiers autour de la cause faunique. Ces mesures concourent à renforcer la lutte contre la criminalité à travers des opérations de lutte anti-braconnage, souvent identifiées comme étant le théâtre des abus sur les droits de l’Homme et les droits des peuples autochtones.
L’un des actes majeurs qui mérite une attention particulière est le mémorandum d’entente MINFOF-WWF fixant le cadre stratégique des piliers de collaboration entre les deux institutions, qui prévoit le renforcement des capacités du personnel du MINFOF, aux niveaux central et déconcentré, sur les techniques et pratiques de gestion durable des aires protégées et la gestion communautaire des ressources forestières et fauniques.

Le renforcement des capacités pour une meilleure efficacité des actions de terrain
En 2020, WWF en collaboration avec TRAFFIC, a organisé une évaluation des besoins en formation pour les agents chargés de l’application de la loi forestière et faunique. L’idée était d’identifier les lacunes et les faiblesses en matière de capacités individuelles et collectives. A l’issue de la démarche, des modules de formation ont été développés en fonction des besoins identifiés et des formations annuelles de remise à niveau sont organisées au bénéfice des écogardes, dans les aires protégées soutenues par WWF-Cameroun.
Dans la même veine, les déploiements et redéploiements réguliers des personnels dans les aires protégées nécessitent la formation des agents concernés, pour une meilleure efficacité des actions/interventions sur le terrain. Toutes ces formations ont pour finalité d’atténuer les abus pouvant découler des opérations de lutte contre le braconnage au détriment des droits de l’Homme en général et des droits des peuples autochtones en particulier.

Le code de bonne conduite des écogardes dans sa phase opérationnelle
Hormis la récente activité sur la question, des actions précédentes ont été entreprises pour promouvoir la lutte contre la criminalité faunique, dans le respect des droits humains. C’est le cas de la présentation du « Code d’éthique et de déontologie du personnel des Eaux et Forêts affecté dans les aires protégées du territoire national », le 16 juillet 2025 à Bertoua. Le document signé le 28 mars 2024 à Yaoundé par le Minfof, est une initiative historique visant à professionnaliser et harmoniser les pratiques des écogardes dans toutes les aires protégées du pays. L’élaboration du document a bénéficié de l’appui des partenaires techniques tels que le WWF, en concertation avec plusieurs ministères, agences de conservation et représentants des communautés. Il reflète une approche inclusive, tenant compte des réalités du terrain et des défis rencontrés par les écogardes.
L’objectif est de renforcer la conservation de la biodiversité, réduire les conflits entre écogardes et communautés locales, promouvoir l’intégrité, la responsabilité et le respect des droits humains et encadrer les pratiques de patrouille, de surveillance et de répression. Le code de bonne conduite aborde en outre les domaines clés comme : la conduite éthique et déontologique, le respect des droits humains des peuples autochtones et riverains, la surveillance écologique, la gestion participative et l’importance de maintenir les droits humains et l’intégrité professionnelle lors des activités de patrouille, de surveillance et de répression dans les aires protégées.

Une autre action d’éclat est le lancement du projet : « Contribution à une protection renforcée des organisations de la société civile qui collaborent à la détection et au signalement des crimes environnementaux présumés ». Le lancement du projet de lutte contre les crimes environnementaux a été effectué le 16 juillet 2025, à l’initiative du Minfof avec le soutien de WWF. Financé par le BMUV Interpol, l’objectif du projet est de renforcer les mécanismes de surveillance, d’alerte et de plaidoyer renforcer les efforts des forces de l’ordre et la coopération internationale pour détecter et contrer les crimes environnementaux, détecter et signaler les activités illicites présumées susceptibles de menacer la sécurité environnementale.
L’autre volet porte sur le renforcement des capacités des Organisations de la société civile (OSC) et des communautés, pour qu’elles puissent mieux détecter les activités liées à la criminalité environnementales et les dénoncer auprès des agents en charge de d’application de la loi. Le projet sera mis en œuvre sur trois ans, dans les deux paysages du TRIDOM (forêt du parc Tri-national Dja, Minkebe-Odzala à cheval entre le Cameroun, le Gabon et la République du Congo) et du TNS (Tri-National de la Sangha) dans le sud-est du Cameroun.