
Dans un communiqué publié le 12 février 2025, l’Ong plaide pour une meilleure prise en compte des dossiers liés aux conflits homme-faune, à l’accaparement des terres et pour une implication/consultation des populations en amont de la réalisation des projets.
Le 7 février 2025, les populations de la localité de Kourbi dans la région de l’Extrême-Nord ont bloqué la nationale numéro 12, prenant à partie le gouverneur, le préfet du département du Mayo-Kani et leurs états-majors respectifs. Ce tronçon vital qui relie le Cameroun au Tchad a été bloqué durant des heures. A l’origine : les manifestants sollicitent l’annulation du décret n°2020/0003 du 7 janvier 2020 du Premier ministre portant création du parc national « Ma Mbed Mbed » (PN3M). A leur avis, la dénomination attribuée à l’aire protégée serait stigmatisante, dans la mesure où l’appellation « Ma Mbed Mbed » pourrait signifier « Le peuple non circoncis » dans une langue locale distincte de celle des Tupuri. De l’autre côté, les populations locales craignent que les espaces jadis consacrés à l’agriculture, à l’élevage et à des pratiques culturelles ancestrales soient désormais hors d’accès, avec les risques potentiels d’insécurité alimentaire. Enfin, la création du parc est susceptible de créer un sentiment de marginalisation de la communauté Tupuri qui dénonce le fait qu’elle n’a pas été associée à la démarche, faisant craindre des risques de conflits intra-communautaires.
Face à cette situation, Greenpeace Afrique demande, dans un communiqué publié le 12 février 2025, au gouvernement camerounais de retirer le décret de création du parc de Ma Mbed Mbed. Dans ce document, le Pr. Pierre Ngoussandou Bello, coordonnateur national de Jag Sir, association nationale culturelle Toupouri est péremptoire. « La communauté Toupouri estime qu’il s’agit d’un complot contre leurs terres et leurs vies. Les éléphants ne font pas de distinction entre ethnies, religions ou professions. Leur présence est une menace pour tous, y compris le camp du BIR à moins de 12 km. Des ravisseurs sévissent régulièrement à Taibong et Guidiguis avant de se réfugier dans une aire protégée au Tchad. L’extension de cette zone avec le nouveau parc aggraverait l’insécurité. Le gouvernement doit reconnaître son erreur et retirer le décret pour apaiser les tensions. Au vu de la détermination des populations, si l’Etat s’entête, l’extermination des éléphants deviendra inévitable », fait-il observer.
Similitudes entre la manifestation de Kourbi et le soulèvement des riverains de Camvert
L’extrême-Nord du Cameroun est une région déjà confrontée à plusieurs défis, notamment en matière de sécurité, et figure parmi les régions les plus affectées par le changement climatique au Cameroun, explique Greenpeace Afrique. L’an dernier, poursuit l’Ong, elle a été touchée par plusieurs vagues d’inondations. L’insécurité alimentaire y est un défi constant à relever. « Ce parc a été créé pour la lutte contre le changement climatique et pour l’insertion socio-professionnelle. Ce sont des objectifs à saluer. Toutefois, ce projet réduit considérablement les terres et ressources disponibles pour les populations locales. C’est la raison pour laquelle il faut reconnaître leur rôle essentiel dans la gestion durable de leurs terres et environnement », indique le Dr. Fabrice Lamfu, chargé de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique. « Lorsqu’une décision est prise sans leur consentement libre, informé et préalable, cela peut malheureusement conduire à des situations aussi délicates que celle-ci. Nous invitons le gouvernement à reconsidérer le projet. C’est une menace de trop pour les populations de l’Extrême-Nord », ajoute ce dernier.
La manifestation de Kourbi vient se greffer à celle qui a eu lieu il y a quelques semaines dans la localité de Campo, région du Sud, menée par les populations riveraines au projet Camvert. A en croire Greenpeace Afrique, ces dernières sont descendues dans les rues pour demander la révision du cahier de charges par la compagnie. Selon les populations, ce document ne prend pas suffisamment en compte leurs droits. La situation actuelle dans l’Extrême-Nord présente des défis similaires à ceux rencontrés par les populations de Campo, notamment en ce qui concerne les conflits hommes-faune, l’accaparement des terres et le peu de consultation des populations en amont de la réalisation des projets.
Le parc national de Ma Mbed Mbed (PN3M) dispose d’une superficie de 12 708 ha. Il comprend deux écosystèmes : un écosystème de steppe sahélienne et un autre écosystème d’eau douce. Il constitue un habitat singulier pour la faune sauvage notamment pour l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta Africana). Créé en 2020, le PN3M est né de la volonté du gouvernement camerounais de maintenir les couloirs de migrations des éléphants venus de la réserve de Binder Léré (Tchad) et de renforcer la conservation transfrontalière de cette espèce entre le Cameroun et le Tchad. Le parc a en outre été proposé par les pouvoirs publics camerounais en tant que site Ramsar, du fait de l’existence de sites d’abreuvage pour la faune sauvage ne tarissant pas au cours de l’année.