
Le représentant de l’ATIBT basé à Brazzaville (Congo) décline les principaux chantiers à réaliser dans le cadre de la mise en œuvre du projet d’Appui au secteur privé-marché intérieur du bois (ASP-MIB Congo) lancé en janvier 2025. Le projet va durer quatre ans, pour un coût de deux millions d’euros, soit 1,3 milliard de F.
En tant que personne ressource de l’ATIBT en République du Congo, quel est l’état d’avancement de la mise en œuvre du projet marché intérieur du bois ?
Le projet marché intérieur du bois est financé par l’Union européenne à hauteur de deux millions d’euros (1,3 milliard de F.CFA). Le projet a une durée de quatre ans. L’atelier de lancement a eu lieu en janvier 2025. Le démarrage d’un projet n’est jamais évident. Mais, depuis, nous avons élaboré le plan d’opérationnalisation des activités. Il s’agit d’un document très important qui décline les activités en sous-activités, en résultats attendus, répartit les responsabilités et les différentes tâches, les indicateurs, les moyens de vérification des résultats ainsi que les livrables. C’est un premier outil qui a été développé. Nous poursuivons également le processus de recrutement du personnel. Le projet nécessite des ressources humaines importantes et compétentes. Nous avons récemment lancé l’appel à candidatures pour un poste d’assistant technique numéro deux. Au mois de janvier, l’assistant technique principal a été recruté. Maintenant, il est question, compte tenu de la taille du projet, de recruter un second assistant technique. En même temps, nous avons lancé un appel d’offres assez large pour constituer un pool d’experts (que ce soit les bureaux d’études et/ou les consultants individuels). Il y a plusieurs activités qui vont nécessiter des expertises externes en fonction des thématiques. Dans le cadre de cet appel d’offres, nous avons élaboré les termes de référence des deux premières études qui vont être réalisées au cours du premier semestre 2025. La première étude porte que l’état des lieux de la chaîne de valeurs bois domestique. Il est très important de faire un diagnostic de la filière, pour mieux redéfinir les actions prévues dans le cadre du projet. La deuxième étude va porter essentiellement sur l’état actuel du marché domestique du bois. L’état des lieux permettra également d’avoir une idée du niveau des acteurs sur le terrain. On va évaluer avec l’appui des experts leurs compétences (surtout au niveau de la transformation), la qualité des produits transformés. Nous envisageons de les accompagner pour améliorer la qualité des produits.
In fine, quel est l’objectif du projet marché intérieur du bois ?
Le projet a pour objectif principal d’améliorer la compétitivité et la durabilité du marché bois domestique. C’est un projet qui vise à rendre attractif le marché intérieur du bois du Congo, à travers la structuration de la chaîne de valeurs et à renforcer les capacités des acteurs pour une utilisation légale et durable du bois. C’est un secteur qui n’est pas assez structuré encore moins organisé. Pour structurer, il faut dresser un état des lieux comme je l’ai dit tantôt. Et la problématique de main-d’œuvre qualifiée se pose avec acuité dans le secteur de la transformation plus poussée du bois. Evidemment, il y a le volet coaching, avec l’accompagnement des petits producteurs et des petits transformateurs dans leurs activités, afin d’arriver à mettre sur le marché bois des produits bois transformés de manière légale et de qualité supérieure.
D’après certaines statistiques convoquées par l’ATIBT, le secteur artisanal approvisionnant le marché national représente près de 15% des volumes de grumes produits par les concessionnaires. Quel est le rôle du projet ASP-MIB Congo dans l’accompagnement de ce secteur d’activités ?
La problématique de ce secteur c’est la durabilité. Le premier challenge est d’arriver à augmenter la part des produits bois exploits légalement sur le marché. 15%, c’est déjà important. On pourrait le revoir à la hausse. Mais, le plus grand chantier consiste à améliorer les pratiques. Il faut arriver à former les acteurs, à les conscientiser parce qu’il y a un véritable problème de communication, de vulgarisation et d’appropriation des textes règlementaires et de loi au niveau national. Aujourd’hui, si nous voulons rendre attractif le marché intérieur du bois, il faudrait que ce marché soit ravitaillé par des produits issus des pratiques légales. En un mot, il faut lutter contre l’exploitation informelle. A minima, il faut garder ce pourcentage, en se rassurant qu’il s’agit du bois exploité légalement. Il y a deux choses à prendre en compte : la légalité et la qualité du produit. Nous voulons aussi arriver à normaliser voire labéliser la qualité des produits qui arrivent sur le marché, de manière à disposer des produits Made in Congo. Vous conviendrez avec moi que les produits ne sont pas de bonne équité, on ne pourra pas rendre le marché attractif et compétitif.
A-t-on une estimation du nombre d’acteurs qui opèrent dans le secteur bois en République du Congo ?
C’est l’intérêt même de cette étude. Il serait difficile et même hasardeux de s’aventurer sur ce volet. Il est très difficile d’estimer le nombre d’acteurs qui opèrent dans ce secteur. L’état des lieux va concerner toute la chaîne de valeurs bois : producteurs, transformateurs, transporteurs et consommateurs. Dans le cadre de ce projet, nous avons identifié cinq principales zones d’activités, pour essayer de couvrir l’ensemble du territoire. La république du Congo compte 10 départements. Nous avons sélectionné cinq départements (dont 50% du territoire), notamment les deux principales villes de Brazzaville et Pointe-Noire. Mais également, du côté du nord, il y a la ville de Ouesso et au sud les villes de Dolisie et Sibiti. C’est à l’issue de l’étude que nous aurons une idée exacte du nombre d’acteurs. Mais, on peut citer principalement les menuisiers pour lesquels il y a une association comme interface, notamment les menuisiers regroupés autour du cluster bois. Il s’agit des artisans menuisiers qui se regroupent pour mettre en valeur les équipements dans le cadre de la transformation du bois. Des équipements ont été mis en place grâce à un don de l’Union européenne. Il y a des séchoirs, des équipements pour affutage bref tout un plateau technique. Pour valoriser ces équipements, nous avons regroupé ces artisans en clusters. Il y en a trois à travers le pays : à Brazzaville, Pointe-Noire et Sibiti. Ces quelques acteurs ont déjà été ciblés. Au niveau de Brazzaville toujours, il y a l’association Congo Meubles qui regroupe une trentaine de menuisiers, l’association filière bois avec environ 25 menuisiers. A Pointe-Noire, il y a l’association des menuisiers du Congo (AMC) qui regroupe environ 80 menuisiers. Mais, le challenge est d’arriver à identifier d’autres associations de menuisiers en dehors des deux principales villes et d’en créer d’autres. Il serait plus facile de travailler avec les associations et les fédérations, car pris individuellement, nous ne pourrons jamais être efficaces dans la mise en œuvre du projet. A terme, il faut penser à la durabilité, à la pérennisation de ce secteur. Une fois qu’on aura structuré le secteur en termes d’acteurs, il faudra bien compter sur les résultats de ce projet, pour améliorer ce secteur d’activités très important pour l’économie du pays.
Quid de la contribution du secteur artisanal du bois au PIB national ?
C’est aussi l’un des résultats attendus du projet. Nous savons que le secteur forestier contribue à environ 5% du PIB. Maintenant, quel est le taux du secteur artisanal ? Difficile de se prononcer. J’espère que d’ici la fin du projet, nous aurons les statistiques exactes. C’est toujours difficile de se prononcer quand on n’a pas les éléments scientifiques et solides, ce d’autant plus que ce sont des données qi vont être vulgarisées.
Le projet porté par l’ATIBT a aussi vocation à être genré. Qu’est-ce qui est prévu de manière concrète pour favoriser l’inclusion des femmes ?
J’ai évoqué précédemment l’appel à candidatures large qui a été lancé. Il y a plusieurs thématiques qui portent, au-delà de l’état des lieux et de la chaîne de valeurs du bois domestique, sur une stratégie de communication spécifique. Il y aura des actions de plaidoyer qui pourront être menés, des prestations sur les essences moins connues, c’est-à-dire les essences dites de promotion ainsi que des formations. Les formations concernent tous les métiers de la chaîne de valeurs du bois. Dans le cadre de l’un de nos projets, en l’occurrence le projet Adefac (pour la mise en place d’un dispositif durable de formation continue dans la filière forêt-bois dans le Bassin du Congo), nous avons fait une cartographie des métiers du bois de la forêt jusqu’au consommateur. Nous avons pu identifier une quarantaine de métiers. Nous opérons selon l’approche bottom up, c’est-à-dire que l’ors de l’état des lieux, on va identifier les besoins des acteurs en termes de formations. Ce sont des derniers qui vont proposer les thématiques qui permettront d’avoir un plan d’actions. Et nous allons recruter les experts par thématiques. A chaque fois qu’il y aura des opportunités, le genre sera privilégié et mis en avant. Au moment du déploiement des formations, nous allons accorder une place prépondérante. Dans le cadre des formations initiales des jeunes diplômés sans emploi (à partir du BEPC) aux métiers du bois, nous allons encourager le genre. Même lors des formations en apprentissage, parce qu’il faut intéresser la gent féminine aux métiers du bois. Il faut préciser que ce sont des formations pratiques in situ (sur le terrain) sur des plateaux techniques. Lorsqu’on parle du secteur forestier, on ne voit que la forêt. Pourtant, il y a des métiers qui sont transversaux. Il y a un département des ressources humaines, de comptabilité, de finances, de sociologie, de cartographie forestière dans le secteur forestier. Ce sont autant de métiers qui pourraient intéresser les femmes. Quand vous allez dans des usines de transformation, une bonne partie de la main-d’œuvre est constituée des femmes. A tous les niveaux, nous allons privilégier le genre.
Ces dernières années, la République du Congo a pris une sérieuse option pour matérialiser la directive communautaire de la CEMAC portant interdiction de l’exportation du bois sous forme de grumes. Dans quelle mesure le projet marché intérieur du bois peut accompagner la politique nationale de transformation locale du bois ?
Le projet marché intérieur du bois est l’un des leviers pour répondre à cette mesure sur l’arrêt des exportations des grumes. Il faut dire que dans le secteur forestier en Afrique centrale en général et au Congo en particulier, on a mis un accent sur l’exploitation forestière. Vous avez des ingénieurs de conception et des techniciens bien formés qui maîtrisent tout le processus d’exploitation forestière et tout ce qui est gestion forestière. Malheureusement, il y a très peu de main-d’œuvre qualifiée en transformation du bois. Arrêt d’exportation des grumes signifie transformation plus poussée du bois. C’est pour cela que les formations sont au cœur de ce projet. D’où la nécessité de faire un diagnostic pour avoir une idée des acteurs. La plus-value est d’arriver à former des experts dans ce domaine afin d’améliorer la qualité des produits bois. C’est pour cela que nous avons aussi prévu de travailler en étroite collaboration avec la Zone économique spéciale de Pointe-Noire encore appelée Plateforme industrielle du Congo (PIC) et étendue sur une superficie de 2700 hectares, pour qu’un certain pourcentage des produits bois transformés au niveau de cette zone se retrouve sur le marché domestique. Nous comptons énormément sur le plateau technique de la ZES pour former les meilleurs acteurs. La plupart d’entreprises légalement installées et à capitaux nationaux ne disposent pas d’usines de transformation. D’où les espoirs placés en la zone économique spéciale a été mise en place, histoire de transformer le maximum de produits bois sur place.
Interview réalisée par La Rédaction