
L’enquête dénommée « Mort à huis clos » publiée le 21 mai 2025 lève un pan de voile sur les décès de travailleurs, le siège fantôme et les accusations de corruption. L’entreprise, par l’entremise de son avocat, s’est abstenue de tout commentaire, se fondant sur le fait que les questions adressées par l’Ong ont un caractère partiel et préjudiciable.
Environmental Investigation Agency US (EIA) vient de rendre public un nouveau rapport « Mort à huis clos », qui dévoile que le contrôle exercé par la société française du groupe Perenco a joué un rôle central dans la mort de six travailleurs en mars 2024 au Gabon. Il s’agit de l’accident offshore le plus meurtrier jamais signalé en Afrique et de l’un des incidents les plus tragiques de l’histoire de l’entreprise. Faut-il préciser que le groupe Perenco est l’une des plus grandes multinationales pétrolières et gazières au monde fondée en 1975. Appartenant à la famille Perrodo, il est spécialisé dans l’exploitation d’actifs en fin de vie en minimisant les coûts de production. L’enquête met également en lumière la dissimulation de l’accident mortel au moyen de possibles pressions sur un témoin, de l’obstruction faite aux auditeurs et d’un pot-de-vin de présumé 65 000 dollars américains, indique l’Ong.
A date, les familles des victimes africaines n’ont pas été indemnisées. La famille du responsable français aurait, selon une source proche du dossier, reçu près de 10 millions de dollars américains en dédommagement et contre la signature d’un contrat de confidentialité pour son silence. Là où le bât blesse, c’est que les conclusions d’un rapport d’audit commandité par le gouvernement gabonais ont été cachées au président Brice Clotaire Oligui Nguema et aux membres clés de son cabinet, à en croire certaines sources officielles.

Le modèle de production Low Cost comme causse des atteintes répétées à l’environnement, au droit du travail et aux droits humains
Ce modèle de production à coûts faibles a conduit l’entreprise à être accusée, ces dernières années, d’atteintes répétées à l’environnement, au droit du travail et aux droits humains dans la quasi-totalité des pays où elle opère. Les cas les plus patents sont : la fuite de 300 000 barils au Gabon, un lobbying contre la création d’une réserve autochtone au Pérou, la pollution chronique de l’air, de l’eau et du sol en République démocratique du Congo (RDC), les dommages environnementaux dans la plus grande zone humide protégée d’Amérique centrale et une fuite dans le port de Poole au Royaume-Uni en 2023.
« La détermination du groupe Perenco à extraire du pétrole quel qu’en soit le coût pour les travailleurs, les communautés riveraines et les écosystèmes doit être corrigée au plus tôt. Au Gabon comme, leurs actes sont lourds de conséquences sociales et environnementales ailleurs. Aucune entreprise n’est au-dessus de la loi et les décideurs du groupe doivent être appelés à rendre des comptes pour leurs actes », explique le directeur exécutif de l’EIA US, Alexander von Bismarck.

Un mode opératoire sans traçabilité
Fruit de quatre ans d’investigations issues d’entretiens avec des lanceurs d’alerte, d’entretiens sous couverture et de l’analyse de données, le rapport d’EIA contredit la présentation que le groupe Perenco donne de son propre fonctionnement. Cette présentation a permis au groupe d’échapper jusqu’à présent aux conséquences juridiques de cas allégués de pollution, de violations des droits humains et de violations du droit du travail, apprend-t-on.
Les faits révèlent qu’une explosion sur la plateforme pétrolière de Becuna, au large des côtes du Gabon, a été à l’origine de l’accident. « Les enquêteurs d’EIA ont appris que dans les semaines précédant l’explosion, ces travailleurs avaient reçu l’ordre d’ignorer de nombreuses dangereuses remontées de pétrole et de poursuivre les opérations de maintenance coûte que coûte, afin d’éviter des pertes financières pour le groupe Perenco », précise le communiqué de presse. Selon l’enquête d’EIA, les preuves de ces remontées ont été omises des rapports techniques compilés par le directeur du site, sur ordre de la direction à Paris (France).
Au fil des ans, le groupe Perenco s’est soustrait à l’obligation de rendre des comptes en affirmant que la centaine de filiales que compte le groupe serait entièrement autonomes et indépendantes. Les experts consultés par EIA estiment que ce concept, en particulier dans un secteur aussi capitalistique que l’industrie pétrolière et gazière, n’a aucun sens. « A ma connaissance, certains aspects essentiels au niveau du groupe, comme le financement, la planification budgétaire, l’investissement stratégique, etc. ne peuvent tout simplement pas être traités au niveau des filiales pour un groupe de cette taille. Ce serait une première dans le secteur de l’énergie. Une coordination contrôlée des filiales de production, émanant d’un centre de décision centralisé, doit exister », affirme David Collis, professeur à la Harvard Business School.
L’enquête d’EIA souligne en outre que presque toutes les décisions importantes d’ordre opérationnel, stratégique, financier et en matière de ressources humaines sont prises au niveau des sociétés basées au Royaume-Uni et en France. Un ancien directeur pays du groupe Perenco a expliqué aux enquêteurs d’EIA que bien que les directeurs de filiales peuvent « conseiller » ou apporter leur contribution, en pratique une fois qu’une décision est prise par les sièges de Paris et de Londres, « c’est votre nouvelle direction ».

Propositions pour la mise en place d’un groupe de travail et l’instruction d’une enquête
Face à ces agissements hors-la-loi, l’EIA recommande au gouvernement gabonais la mise en place d’un groupe de travail, sous l’autorité de la présidence gabonaise, « afin d’enquêter sur l’accident et son éventuelle dissimulation, et d’exiger une indemnisation immédiate pour les familles des victimes », précise le communiqué de presse. EIA demande davantage au gouvernement français d’enquêter sur l’implication de la société Perenco France dans l’accident de la plateforme Becuna au Gabon et ses conséquences.
Alors que l’Ong EIA a engagé des démarches auprès de Perenco pour avoir sa position sur le rapport, c’est l’avocat du groupe pétrolier qui leur a donné le feedback par écrit. « Compte tenu du calendrier, du caractère partiel et préjudiciable de vos questions, ainsi que de certaines hypothèses explicites ou implicites sous-jacentes à celles-ci, mon client s’abstiendra de tout commentaire », a indiqué Me Clément Dupoirier, avocat au barreau de Paris, dans sa correspondance datée du 14 mai 2025.